Le pasteur évangélique américain John Hagee s'adresse à une foule de ses partisans pendant qu'ils agitent des drapeaux israéliens et américains lors d'un rassemblement dans le centre de Jérusalem.
Par David Van Biema
www.time.com, vendredi le 20 juin 2008
Gali Tibbon / AFP / Getty
Couper les liens avec John Hagee s'est avéré beaucoup plus facile pour le
sénateur John McCain que pour certains des groupes juifs les plus offensés par
les déclarations du pasteur évangélique conservateur sur Dieu et l'Holocauste.
McCain a décidé de se dissocier de Hagee après la publication d'un sermon en
1999 dans lequel Hagee affirmait que Dieu avait voulu l'Holocauste et l'avait
prophétisé dans le livre de Jérémie. "Et cela va choquer certaines personnes", a
lancé Hagee. "Eh bien, mes chéris, soyez offensés. Ce n'est pas moi qui l'ai
écrit. Jérémie l'a écrit. C'était la vérité et c'est la vérité. Comment cela
s'est-il produit ? Parce que Dieu a permis que cela se produise. Pourquoi cela
s'est-il produit ? Parce que Dieu a dit : 'Ma priorité absolue pour le peuple
juif est de le ramener en Israël'. "
Mais là où McCain a coupé les liens avec le méga-pasteur évangélique qui avait
soutenu sa candidature, Abe Foxman, chef de l'organisation de surveillance de
l'antisémitisme, la Ligue Anti-Diffamation, semblait plus disposé à pardonner.
La raison de la réticence de Foxman à abandonner Hagee a peut-être été résumée
dans une lettre du pasteur publiée sur le site Web de l'ADL, dans laquelle Hagee
souligne : "J'ai consacré une grande partie de ma vie d'adulte à combattre
l'antisémitisme et à soutenir l'État d'Israël."
Le soutien de Hagee à l'État juif—il dirige également l'influente organisation
'Christians United for Israel' (Chrétiens Unis pour Israël) et a été l'un des
principaux orateurs de la conférence du Comité aux Affaires Publiques
Américano-Israélienne (AIPAC) l'année dernière—a rapporté à Israël des millions,
voire des milliards de dollars provenant du tourisme évangélique, et a apporté
un soutien politique à une politique pro-israélienne forte à Washington. Aussi
important qu'il ait été pour Israël, ce soutien a toujours été accompagné d'un
astérisque : l'affection de Hagee pour Israël découle de sa conviction que pour
que la seconde venue du Christ ait lieu, les Juifs doivent retourner en Israël
et reconstruire le Temple détruit par les Romains. Le piège de cette croyance
est qu'une fois la Fin des Temps arrivée, les juifs pratiquants seront tués au
cours d'une période appelée la Tribulation ; seuls ceux qui se convertiront au
christianisme survivront.
Interrogé sur cette théologie dans une interview en 2006 avec Terry Gross de
NPR, Hagee a déclaré que les juifs ne seront pas "enlevés" et feront face à la
Tribulation, bien qu'il ait dit qu'un nombre indéterminé de survivants
accepteraient Jésus en tant que Messie et obtiendraient ainsi la vie éternelle.
De nombreux partisans juifs en Israël ont toléré le mépris de Hagee pour leurs
croyances, estimant que son amitié était utile à Israël et que son scénario de
la Fin des Temps n'était qu'une fantaisie inoffensive.
Mais le sermon de 1999 en a choqué plus d'un, car il laissait entendre que Hagee
pouvait envisager avec sérénité l'extermination massive des Juifs non seulement
dans un avenir hypothétique, mais aussi dans un passé récent. Et, mes chéris,
ils ont été offensés.
Après que McCain ait lâché Hagee, le pasteur a écrit dans une lettre à Foxman
que l'Holocauste avait été "une tragédie unique de par sa méchanceté et son
horreur" et qu'il s'était lui-même engagé à aider la communauté juive à réaliser
les mots "Plus jamais". Cependant, il a admis que "l'élément central de ma foi
est la croyance en un Dieu omnipotent et souverain" qui aurait vraisemblablement
pu l'empêcher. "J'ai été confronté à la question épineuse de savoir pourquoi un
Dieu aimant aurait permis que l'Holocauste ait lieu."
Hagee est une influence puissante dans l'aile hyper-fondamentaliste du mouvement
évangélique, et bien que ses croyances (techniquement connues sous le nom de
dispensationalisme prémillénaire) ne soient officiellement soutenues que par une
minorité de congrégations évangéliques, les romans 'Left Behind' de Tim LaHaye
et Jerry Jenkins, qui transforment ces idées sous forme de fiction, ont été très
populaires. Il convient donc de noter que l'affirmation de Hagee selon laquelle
il a été peiné et perplexe quant à la façon dont son Dieu a pu permettre
l'Holocauste peut représenter une logique floue. Après tout, Hagee a clairement
indiqué en 1999 qu'il pensait savoir exactement pourquoi Dieu avait permis
l'Holocauste ; dans la vision de Hagee de la marche préordonnée de l'histoire
vers le Salut, les Juifs sont des dommages collatéraux.
La plupart des historiens bibliques croient que Jérémie, qui a passé sa carrière
à prédire la ruine de son propre peuple, a vécu pour voir sa vision s'accomplir
lorsque les Babyloniens ont mis Jérusalem à sac en 587 avant Jésus-Christ. Il
est difficile de trouver un universitaire sérieux qui croit que Jérémie
regardait 2 600 ans dans le futur, bien que cela puisse s'accorder avec le récit
du prémillénialisme. Contrairement à la plupart de ses prédécesseurs, Hagee
connaît et aime les Juifs un peu comme un maoïste qui s'est personnellement lié
d'amitié avec certains membres de la bourgeoisie, et qui se trouve déchiré entre
son affinité pour eux en tant qu'individus et ce qu'il sait être leur destin en
tant que classe dans la marche inévitable de l'histoire vers un plus grand bien.
Pour McCain, la théologie de Hagee peut être un handicap pour lui, mais pour
Foxman, le besoin de soutien à Israël de la part de la puissance évangélique
l'emporte sur toute contrariété liée à son opinion selon laquelle le but de
l'État Juif est de créer les conditions d'une apocalypse qui verra la plupart
des Juifs détruits. Sans faire de commentaire direct sur Hagee, le chef de l'ADL
a déclaré au TIME qu'en général, "ma condition pour l'amitié [évangélique] est
que votre amour ne soit pas conditionné à mon acceptation de votre théologie".
Hagee est apparemment jugé acceptable, puisque Foxman, en réponse à sa lettre, a
déclaré qu'il avait hâte de travailler avec le pasteur contre l'antisémitisme.
"Nous apprécions que tu reconnaisses que l'Holocauste était une tragédie unique
de par sa méchanceté et son horreur" et "les limites de notre compréhension
lorsque nous cherchons à comprendre l'esprit de Dieu", a écrit Foxman. Il a
ajouté d'un ton avunculaire : "Nous, les mortels, avons parfois du mal à
comprendre les voies de Dieu". Certains d'entre nous sont plus prévisibles que
d'autres.